Aller à Cap Juby-Tarfaya pour les 25 ans du rallye ...

Par Jean-Pierre CONDAT

(du 30 septembre au 4 octobre 2007) 

Pour la première fois la possibilité d’aller à Tarfaya se présente à moi. L’équipe d’Air Aventure que préside Eugène Bellet m’emmène sur les traces des pionniers à bord d’un avion de l’organisation. Je vais pouvoir vivre « de l’intérieur » les trois premières étapes du fameux  rallye aérien Toulouse/Tarfaya/St-Louis du Sénégal/Toulouse. Souvent au départ et à l’arrivée à Toulouse, j’accompagnais par la pensée ces pilotes en passe de  devenir des « aviateurs » mais cette fois je vais participer à leur périple et connaître enfin cette ville au bord de la mer, en plein désert, là où St-Exupéry alors chef de l’aéroplace de ce qui s’appelait Cap Juby a écrit son premier roman « Courrier sud ». Le peintre que je suis illustre cette aventure depuis quelques années déjà pour cette association qui propose à quelques 25 avions de relier les escales historiques de la Ligne Latécoère.  En m’imprégnant de l’atmosphère si particulière qui règne là-bas, sans doute vais-je arriver à en extraire quelques nouvelles réalisations…

 Dès le matin du samedi, veille du départ, l’excitation est palpable à Lasbordes. Certains avions sont déjà arrivés. Des curieux se faufilent ici et là pour apercevoir ces frêles machines arborant fièrement logos, numéros et noms de ceux qui vont s’envoler vers le sud. L’après-midi, un briefing général, suivi d’un point météo et d’une présentation de nouveaux équipements embarqués met immédiatement dans l’ambiance. La soirée débute avec la présentation des équipages suivie d’un cocktail et d’un spectacle multi-visions de Jean-Claude Nivet sur l’histoire de la Ligne Paris-Santiago. La projection soulève l’enthousiasme car outre ses qualités indéniables, ce montage diapos de facture professionnelle nous plonge au cœur du sujet. Un repas de gala  au restaurant « l’Envol » permet à tous de terminer cette soirée dans la convivialité.

 Après une nuit courte peuplée de rêves et d’interrogations, le jour se lève sur l’aérodrome et la Cité de l’Espace en ligne d’horizon. Dimanche matin, ambiance un peu fébrile. Il faudra traverser quelques brumes matinales et de l’instabilité mais ensuite nous devrions nous offrir un panorama sur les Pyrénées avant la traversée de l’Espagne jusqu’à Alicante, notre première escale. Je rencontre enfin mon pilote David, sujet de sa Gracieuse Majesté, qui va présider avec Pierre aux destinées de ses passagers et de son Caravan, un puissant monomoteur ailes hautes qui peut accueillir 10 personnes et qui n’est pas sans rappeler un certain Laté 28 de la glorieuse époque de l’Aéropostale. Après un briefing et l’emport de nourritures pour tenir jusqu’à l’escale les avions s’élanceront toutes les 2 minutes et choisiront entre la traversée des Pyrénées ou le contournement par la côte. Pour notre part, nous prenons une ligne assez directe et survolons la Haute Ariège entièrement dégagée : Trois Seigneurs, étangs, crêtes enneigées, « Trilogie tri millénaire » : entendez par-là, le Montcalm, la Pique d’Estat et le Port de Sullo… Je sais que nous sommes déjà en Espagne car pour le randonneur que je suis c’est un régal de se repérer et de voir d’en haut un relief que j’ai si souvent arpenté. L’ambiance dans la cabine est à l’émerveillement et à la détente. Des paysages plus secs défilent sous nos ailes ; rios, sierras se succèdent et bientôt la ville d’Alicante est atteinte avec une approche spectaculaire et assez directe qui tranche avec celle des liners. Après le refueling, nous sommes conduits en bus à notre confortable Hôtel « Huerto del Cura » à Elche. Nous profiterons de la fin d’après-midi pour nous reposer avant « d’affronter » la soirée émaillée des résultats de cette première étape qui seront donnés lors du cocktail dans les jardins de l’hôtel. Deux épreuves ont été proposées aux concurrents : précision dans l’estimation de la consommation en carburant et un qcm sur l’histoire de la Ligne. Un équipage qui a eu une panne sérieuse au départ de Lasbordes a néanmoins pu nous rejoindre et profiter de la soirée où une somptueuse paella nous attendait.

 Lundi, le rythme est pris ! Lever à 6h30, départ en bus pour rejoindre le terrain à 7h30 et briefing à 8h30 ! Il en sera ainsi pendant tout le rallye avec quelques retards inévitables. Un soleil rasant nous accueille à Alicante et nous devrons nous faufiler entre  liners et charters pour décoller et longer la côte espagnole truffée de grands ensembles, de golfs, d’infrastructures routières et de serres à perte de vue rendant un paysage artificiellement immaculé. Le rocher de Gibraltar sera vu avec son enveloppe de brume et David prendra plaisir à nous faire faire un 2ème passage dans la grisaille des nuages et de la mer. Mais le Maroc se dessine déjà avec un soleil sans faille. Nous atterrissons à Tanger. Formalités et attente du couscous de la mi-journée qui se fait désirer en raison du décalage horaire(-2h par rapport à la France).

Nous décollons pour Benslimane non loin de Casablanca et David s’en donne à cœur joie en rasant les flots de la côte marocaine pour le plus grand plaisir de ses passagers qui photographient tout à loisirs sous une excellente lumière les cultures, les villages et les plages de sable fin qui défilent comme par enchantement. A Benslimane nous nous posons sans histoire mais les concurrents doivent affronter une épreuve de précision d’atterrissage. Nous sommes conduits en taxi dans le domaine viticole  «Le  Ryad du Vigneron » pour notre premier campement. Une aire a été aménagée pour notre bivouac mais nous profitons des installations du domaine où la piscine nous accueille sous un magnifique soleil. Le lieu est idyllique entouré de palmiers et le vin y est naturellement excellent. Nous aurons droit à une visite des caves avant la soirée où un magnifique buffet avec des huîtres et des spécialités locales nous attend.

 Mardi matin, alors que le briefing se passe sous le regard attentif du responsable de la plate forme, nous pensons décoller  pour Agadir et ensuite gagner Tarfaya. Mais soudainement l’autorisation ne nous est plus accordée et nous ne savons même pas s’il nous sera possible de nous poser à Tarfaya, étape majeure dans notre voyage et pour laquelle de nombreuses et importantes manifestations sont prévues. Les négociations et coups de fil vont bon train et l’équipe arrive à force de patience, de diplomatie et d’obstination à débloquer la situation au bout de 2 heures. Les épreuves du jour sont abandonnées et tous se concentrent  sur l’essentiel : se poser à Tarfaya. Malheureusement pour moi, pour des raisons pratiques j’ai dû changer d’avion et je suis maintenant à bord d’un Cessna 172 de l’organisation qui doit fermer la marche. Je sais que nous allons à Agadir sans possibilité de rejoindre Tarfaya à cause d’un retard trop conséquent. La moitié des équipages sera dans cette situation  désespérante. On se consolera dans un hôtel confortable après quoi je laisserai partir les concurrents qui poursuivront le rallye. Je dois rentrer en France où des obligations professionnelles m’appellent. Nous décollons sous la pluie avec un orage qui menace. Nous sortons de la grisaille après quelques minutes un peu longues pour mes deux pilotes Antoine et Hans qui se débrouillent si bien que je ne ressens aucune peur bien qu’étant en liaison permanente avec ce qui se passe. J’aperçois Casablanca que nous contournons par l’est et je découvre la piste d’Anfa que j’avais dessinée dans une de mes compositions. Nous longeons ensuite la côte et atteignons Agadir par beau temps. Nous y retrouvons Daniel, notre directeur des vols qui nous indique qu’en faisant vite pour le ravitaillement nous avons une chance de nous poser à Tarfaya. Antoine et Hans se partagent le travail : pendant que l’un accélère les manœuvres de refueling l’autre court déposer le plan de vol. Nous sommes les derniers sur le tarmac. Tous les autres appareils à l’exception d’un seul qui s’était dérouté sur Essaouira ont décollé pour Tarfaya. Le temps nous est compté mais nous avons une chance. Malheureusement, la tour nous demande d’attendre un liner qui se pose, un autre qui décolle puis un troisième qui doit atterrir et nous perdons de précieuses minutes. L’autorisation enfin accordée nous mettons plein gaz. La journée est avancée et les lumières se font plus douces. Dans le cockpit, nous calculons la meilleure route, l’altitude qui nous ferait gagner du temps en fonction des éléments météo. On fait les estimations de l’heure d’arrivée sur Tarfaya que l’on communique à Daniel qui en tant que directeur des vols reste garant de la sécurité de tous et donc demeure intraitable : il nous faut nous poser impérativement avant le coucher du soleil soit 18h37 ce jour là. « Nous refaisons tous nos calculs… ». Nous consultons le manuel de l’avion pour savoir comment optimiser sa vitesse mais il nous manque toujours 5 ou 6 minutes. Nous serons contraints de nous dérouter sur Tantan que nous atteindrons vers 18h. La déception se lit sur nos visages. Tarfaya se dérobe de nouveau…

Nous appelons le contrôleur de Tantan et nous avons une faveur à lui demander…  Il nous trouve un taxi pour faire les 200 et quelques km qui nous séparent de Tarfaya. Alors l’espoir renaît. Et c’est dans la nuit que nous roulerons à 130 km/h pour finalement arriver à Cap Juby sur le coup de 21h pour le début du concert donné par l’Orchestre Philharmonique du Maroc. Nos amis n’en croient pas leurs yeux. Nous les avons rejoints et assis sur les chaises chargées d’humidité nous écoutons la musique de Bizet monter dans le ciel étoilé. C’est surréaliste, je foule le sable de Cap Juby dont je n’ai encore rien vu, tous les invités sont là et je viens de vivre un véritable feuilleton qui a duré la journée entière et dont je suis un des protagonistes. Je découvre peu à peu les lieux et les magnifiques tentes aux couleurs vives où nous serons accueillis pour le repas de gala. Le campement de luxe où nous passerons la nuit fait penser aux installations dignes d’un roi. Et derrière moi se trouve la fameuse piste spécialement remise en état pour l’atterrissage des avions du rallye maintenant alignés et éclairés telles des œuvres d’art qui ornent la cité.

 La nuit sera courte et merveilleuse avec son cortège de rêves. J’ai bénéficié d’un régime de faveur en dormant sous une tente, seul, en pensant à la Ligne et à ce lieu mythique où St-Ex a dû si souvent méditer lui aussi, il y a 80 ans maintenant.

 Le matin fut un enchantement avec un lever du soleil très coloré agrémenté de nuages jouant de nuances dans les tons jaunes et orangés qui se reflétaient sur les carlingues. Le fort s’est coloré à son tour, se parant de teintes aurifères, lui ôtant son austérité guerrière pour le transformer en vaisseau garant de la mémoire du rivage. Je suis parti ensuite à la découverte de la ville, essayant d’en capter l’atmosphère. J’y ai retrouvé bien des compagnons de voyage, à la fois curieux et fascinés, échangeant avec eux des regards complices. J’ai aussi trouvé des guides hors pair investis sur la place, me montrant leurs projets d’un centre culturel ou les aménagements envisagés sur le musée St-Exupéry où j’ai revu mes propres tableaux. Et mon ami Jean-Claude avec qui et grâce à qui je suis allé sur la Cordillère que je rencontre devant la stèle avec le Bréguet XIV… Est-ce un hasard ? Je dirais plutôt un signe…

Je n’ai eu que peu de temps devant moi mais ces quelques heures passées à Cap Juby auront été intenses car elles constituent une étape incontournable et essentielle dans mon parcours de voyageur-illustrateur soucieux d’un certain devoir de mémoire et qui cherche à s’inspirer de l’esprit de la Ligne. Alors, bien sûr, je tiens à remercier tous ceux que j’ai trouvés sur mon chemin, qui m’ont fait confiance, qui m’ont aidé et qui m’ont offert ce cadeau magnifique: le partage de cette aventure mais bien au-delà celui de l’amitié née de notre engagement et de notre passion commune. Je sais qu’ils se reconnaîtront.                                                          



 
 
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